CHAPITRE VIII

Cette bulle invisible devient lassante, songea Alicia en scrutant tout autour d’elle les tables désertes du foyer. Nul n’aurait eu la grossièreté de faire allusion à sa « démence »… mais personne non plus n’osait l’approcher de trop près.

Je me demande dans quelle mesure ils ont peur de la contagion, se plaignit-elle.

— Oh, très peu, selon moi. Ils craignent ce que tu pourrais leur faire plutôt que la contamination.

— Pensée réconfortante. > Alicia renifla dédaigneusement et tira une chaise plus près du bord opposé de la table pour y reposer les talons. Ses dialogues avec Tisiphone ne lui semblaient plus aussi étranges, ce qui l’inquiétait sans doute de temps a autre, mais moins que ça ne la réconfortait. Elle devait se montrer si prudente, surtout vis-à-vis de ses amis, qu’une conversation franche et ouverte lui était un soulagement presque indicible. Évidemment, songea-t-elle avec une moue désabusée, il était toujours possible que Tannis ait raison, mais, même si Tisiphone n’existait pas, leurs échanges restaient extrêmement rassurants.

< Bien sûr que j’existe. Pourquoi persistes-tu à utiliser des qualificatifs ?

— Ma nature, j’imagine. Si tu avais été concoctée dans un laboratoire d’IA, ce serait nettement plus facile pour moi.

— Tu trouves donc les êtres de cristal et de câble plus rationnel que les purs esprits ? > La « voix » mentale de Tisiphone trahissait un immense amusement. < Tu es née dans une bien triste époque, petite, si le sens du merveilleux de tes contemporains est tombé aussi bas.

— Pas triste, mais prosaïque. Et, à propos de merveilleux, regarde donc ça, madame le pur esprit. >

Alicia tourna les yeux – leurs yeux ? – vers le large hublot du foyer tandis que le transport se plaçait en orbite autour de Soissons, et Tisiphone elle-même garda le silence. Il manquait sans doute au hublot la haute définition des images d’une des stations d’observation, mais ça n’en rendait la vue que plus impressionnante.

Soissons ressemblait énormément à la Terre – ou, plutôt, à ce qu’elle avait été mille ans plus tôt. Elle présentait davantage de continents et moins d’océans, et ses calottes glaciaires étaient plus vastes car elle se trouvait à près de dix minutes-lumière de son soleil primaire G2, mais ses mers d’un bleu profond et ses nuages blancs comme des moutons étaient à couper le souffle, d’autant que la planète avait été colonisée alors que l’homme avait appris à préserver ses biens. La Vieille Terre se débattait encore contre les traumatismes engendrés par huit millénaires de civilisation, mais l’humanité s’était montrée ici plus prudente à l’égard de l’impact des changements brutaux. On n’y trouvait aucune de ces mégalopoles de la Vieille Terre ou des mondes du Noyau, et Alicia pouvait presque sentir l’air pur depuis l’orbite.

Pourtant, si attentifs qu’ils fussent à sa préservation, deux milliards d’êtres humains peuplaient cette planète et le système franconien avait été élu capitale du secteur en raison de son potentiel industriel. Les cieux de Soissons fourmillaient d’installations orbitales protégées par de formidables places défensives, et Alicia inclina la tête pour les observer avec intensité tandis que le transport louvoyait bien proprement entre elles à une infime fraction de sa pleine puissance de propulsion. Un quai de la Flotte, assez vaste pour recevoir des supercuirassés et plus encore le svelte croiseur de combat qui y subissait un contrôle d’entretien régulier remplit le hublot ; derrière lui s’élevait le squelette arachnéen d’un chantier spatial à part entière.

Qu’est-ce que ça peut bien être ? > fit une voix dans son esprit et les yeux d’Alicia se détournèrent d’eux-mêmes. Se retrouver soudain en train de concentrer le regard sur une chose ou une autre restait passablement agaçant, mais ça la dérangeait moins qu’avant, d’autant que Tisiphone aurait difficilement pu pointer le doigt.

La pensée s’estompa alors même que son propre intérêt croissait, et elle se renfrogna en voyant le petit vaisseau stationné à l’une des lisières du chantier.

Il donnait l’impression d’en être au dernier stade de son assemblage. Cela dit, sans toutes les pièces et les éléments dit chantier naval qui flottaient tout autour, elle l’aurait sûrement cru achevé. Elle regarda une navette du chantier s’accoupler à l’un des tubes d’accès transparents et déverser un flot de techniciens – leurs combinaisons ne formaient à cette distance que de minuscules points de couleur – en se mordillant l’intérieur de là bouche.

La question de Tisiphone tombait à pic. Durant sa carrière, Alicia avait sans doute vu plus de vaisseaux de guerre et de transports qu’elle ne souhaitait en garder le souvenir, mais jamais un seul qui ressemblât à celui-là. Le caisson bulbeux abritant son propulseur Fasset nanifiait le reste de sa carcasse, mais il était bien trop gros pour une estafette. En même temps, il était beau coup trop petit pour un transport de la Flotte, même en partant du principe que quelqu’un se risquerait à atteler ce propulseur monstrueux à un bâtiment plus massif. Il donnait l’impression, par sa taille (quatre ou cinq cents mètres hors tout environ – difficile de le préciser avec pour seul point de comparaison la navette du chantier), de se situer entre un croiseur lourd et un croisent léger, pourtant quelqu’un lui avait greffé la propulsion d’un vaisseau de combat, ce qui augurait d’un formidable changement dans sa vélocité.

Leur propre transport s’en rapprocha en se dirigeant vers le terminal du personnel voisin et les yeux d’Alicia s’écarquillèrent quand elle aperçut, un peu en retrait, les sabords d’armement. Ils étaient bien plus nombreux qu’ils ne l’auraient dû pour une si petite coque, surtout avec une propulsion aussi titanesque Sauf si…

Elle inspira une brusque goulée d’air.

< Je n’en jurerais pas, mais il me semble que c’est un synth alpha.

— Vraiment ? > L’intérêt rendait plus aiguë la voix mentale de Tisiphone, car elle était tombée à plusieurs reprises sur des allusions à ces vaisseaux synth alpha, en particulier dans les banques de données auxquelles elle avait eu accès par le réseau interne du transport. < Je ne les croyais pas si petits.

— Eh bien, ils n’ont qu’un seul pilote à bord et touchent à extrême limite de la technologie. Ils n’ont été rendus possibles que parce que quelqu’un a enfin conçu une génératrice d’antimatière fonctionnelle… sans même parler des IA synth alpha. >

Le petit vaisseau dériva hors de leur champ de vision, tandis que le transport s’alignait sur le terminal du personnel, et Alicia se rejeta en arrière dans son fauteuil en se demandant quel effet ça lui ferait de devenir pilote d’un synth alpha.

Une impression de solitude, au début. Soixante pour cent environ de l’humanité était capable de se servir de récepteurs neuraux pour se connecter à ses esclaves technologiques, mais, si seuls vingt pour cent pouvaient tolérer le contact exigé pour la synthconnexion – ce lien immédiat, bout à bout, qui faisait littéralement d’un ordinateur une extension de leur personnalité – « sans perdre le nord », la moitié seulement de ces vingt pour cent parvenaient à gérer une des connexions cybersynth leur permettant de se brancher à une intelligence artificielle. Nombre d’entre eux déclinaient cet honneur et, en raison des excentricités, voire des pures bouffées délirantes auxquelles étaient enclines les IA, on pouvait difficilement le leur reprocher. Savoir que votre serviteur cybernétique risque de vous liquider en même temps que lui-même n’est guère rassurant, même si cette connexion vous donne un aperçu de capacités littéralement inhumaines.

Mais, d’après les quelques lectures qu’elle avait piochées çà et là, ceux qui pouvaient (et voulaient) se brancher à une synthconnexion alpha étaient encore plus rares… et ne jouaient probablement pas sur tout le tableau. Les têtes d’œuf se flattaient peut-être de pouvoir bientôt produire une IA à l’épreuve de la folie, mais qui, sain d’esprit, irait volontairement fusionner avec un ordinateur doué de conscience ? S’y connecter était une chose, s’imbriquer avec lui une autre paire de manches. Alicia ne nourrissait aucun préjugé contre la technologie, mais la perspective de devenir la moitié organique d’une intelligence bipolaire dans une union que la mort seule pouvait dissoudre était loin de la séduire.

Elle poussa un bref rire aboyant. Une ou deux têtes se tournèrent et elle sourit suavement aux curieux, amusée par la façon dont ils détournaient brusquement les yeux pour éviter de croiser son regard. Encore un autre témoignage de sa loufoquerie, présuma-t-elle ; mais celle-là était vraiment drolatique. Dire que l’idée de fusionner avec une autre personnalité la mettait mal à l’aise… elle entre tous !

Elle gloussa de nouveau puis vida son verre et resta plantée là, Tannis venant de pénétrer dans le foyer. Son sourire un peu figé fit comprendre à Alicia que l’heure était venue de débarquer pour affronter ces merdeux de psys, et elle soupira, reposa son verre vide en souriant à son tour, en se demandant si son sourire donnait autant que celui de Tannis l’impression d’être factice.

 

L’amiral de la Flotte Subrahmanyan Treadwell, gouvernent général du secteur franconien, détestait les planètes. Né et élevé sur l’un des astéroïdes de la ceinture solaire, il ne voyait que des problèmes défensifs dans l’immobilité fort malcommode des mondes impériaux, et, dans les planètes des autres peuples, des cibles bien grasses et infoutues de fuir ; cette courte vue, au demeurant, n’avait guère dérangé les ministres de Seamus II quand ils lui avaient assigné son poste.

Treadwell était un homme efflanqué au visage impassible et au regard dur. Ce visage avait peut-être leurré certaines personnes qui ne prêtaient pas assez d’attention à ses yeux, mais cet homme avait tout fait à la dure. Incapable de tolérer une augmentation, si rudimentaire soit-elle, et, dans cette mesure, écarté à jamais de tout commandement d’un vaisseau amiral par son incapacité à se connecter à son réseau de commandes, il s’était frayé un chemin jusqu’au grade d’amiral par sa seule intelligence, en ne recourant qu’à son cerveau et un clavier. Nommé trois fois instructeur stratégique principal à l’Académie militaire impériale et deux fois deuxième Lord de la Spatiale, on avait reconnu en lui le premier stratège de la Flotte, sans toutefois qu’il eût jamais commandé une seule flotte dans le vide. C’était là, on peut le comprendre, un point sensible qui, ajouté au fait qu’il nourrissait une certaine antipathie à l’égard de ceux dont les processus mentaux lui semblaient plus lents que les siens alors qu’ils pouvaient bénéficier d’une augmentation, le rendait parfois… difficile à vivre. Comme aujourd’hui, par exemple.

« Donc, colonel Mcllheny, vous êtes en train de nous dire que mais n’avons toujours aucune idée des coordonnées de la base de ces pirates, de la raison pour laquelle ils ont adopté cette extraordinaire méthode d’approche ni même de leur prochaine cible, venait-il d’affirmer d’une voix plate. Ai-je bien résumé ?

— Oui, monsieur. » Mcllheny réprima l’envie immonde d’aller se cacher derrière son propre amiral, ce qui n’aurait pas manqué de passer pour un geste stupide puisque lady Rosario Gomez, baronne de Nova Tampico et chevalier de la croix solaire, mesurait très exactement un mètre cinquante-sept et ne pesait que quarante-huit kilos.

« Mais vous, amiral Gomez… (Treadwell avait reporté son regard sur le chef du département franconien de la Flotte) vous pensez toujours que nous sommes assez forts pour nous charger d’eux nous-mêmes ?

— Ce n’est pas ce que j’ai dit, gouverneur. » L’amiral aux cheveux argentés était sans doute petite, mais son envergure professionnelle valait celle de Treadwell et elle soutint calmement son regard. « J’ai dit qu’exiger d’autres gros vaisseaux de combat ne me semblait pas la meilleure solution. La requête ne sera probablement pas acceptée, et c’est de davantage d’unités légères que nous avons réellement besoin. Quels qu’ils soient, ces gens ne pourront certainement pas rivaliser avec notre puissance de feu… Pourvu toutefois qu’on les débusque.

— Naturellement. » Treadwell tapota quelques touches de son ordinateur de poche et décocha à lady Rosario un sourire glacial. « J’imagine que vous avez procédé à une analyse minimale du rapport de forces en vous fondant sur leur capacité à détruire des drones FRAPS planétaires avant qu’ils ne passent dans le vortex ?

— En effet, répondit sereinement Gomez.

— Alors, pourrez-vous nous expliquer où ils ont trouvé la puissance de feu requise ? Les FRAPS ne sont pas précisément des cibles faciles.

— Effectivement, monsieur. D’un autre côté, ils ne peuvent pas riposter et leur seule parade est la vélocité. Sans doute de gros vaisseaux pourraient-ils les abattre plus aisément… mais un nombre suffisant d’unités légères – voire de corvettes – pourraient les acculer et les intercepter à l’intérieur du système.

— Exact, amiral. En contrepartie, nous disposons d’un rapport du capitaine DeVries précisant qu’ils se servent de navettes d’assaut de type Léopard. Qui ne peuvent – ne pouvaient, plutôt – être transportées, vous vous en souvenez sans doute, que par des cuirassés ou des vaisseaux d’une taille supérieure. À moins que vous ne suggériez que ces pirates se servent de cargos contre nous ?

— Monsieur, répondit patiemment Gomez, je n’ai jamais dit qu’ils ne disposaient pas de quelques gros vaisseaux de guerre, qui peuvent très certainement convoyer ces Léopard, mais aucune raison intrinsèque n’interdit qu’ils soient hébergés par des croiseurs lourds, ou même légers, réaménagés. » Elle regarda Treadwell froncer les sourcils et poursuivit sans se précipiter : « je ne dis pas que c’est le cas. Une possibilité peut-être, mais pas une probabilité. Ce que je dis, en revanche, c’est que nous disposons de trois escadres complètes de cuirassés et qu’en aucun cas des pirates indépendants ne peuvent lutter contre ça. Notre problème n’est pas de les détruire, gouverneur, mais de les trouver. Et, pour ce faire, j’ai besoin de davantage d’éclaireurs, pas de la flotte de l’Empire.

— Amiral Brinkman ? » Treadwell lança un regard vers le vice-amiral Amos Brinkman, second de Gomez. « Est-ce aussi votre avis ?

— Eh bien, gouverneur… » Brinkman caressa sa moustache et reluqua sa supérieure hiérarchique du coin de l’œil « Je dois admettre que lady Rosario a touché le problème du doigt. D’un autre côté, la manière exacte dont la flotte devra être composée pour le résoudre reste ouverte à la discussion. »

Mcllheny demeura impavide. Brinkman était un homme compétent dans l’espace, mais il était de notoriété publique qu’il briguait son propre poste de gouverneur, et il se gardait bien d’offenser les gens influents.

« Poursuivez, amiral Brinkman, l’encouragea Treadwell.

— Oui, monsieur. Il me semble qu’une seule alternative s’offre à nous : soit suivre la suggestion de l’amiral Gomez en envoyant d’autres détachements de surveillance dans tous nos systèmes habités, renforcés peut-être de quelques cuirassés, afin de repérer les pirates, de les décourager et peut-être de les pourchasser ; soit réclamer d’autres unités lourdes et faire stationner une division de cuirassés dans chaque système habité pour intercepter le prochain raid et l’anéantir. » Il leva les mains, les paumes tournées vers le ciel. « Il me semble que nous débattons là d’une pure question de rhétorique et non de stratégie. Pour ma part, chacune de ces deux solutions me satisferait, pourvu que nous nous y pliions sans faillir.

— Gouverneur. » Lady Rosario n’avait même pas regardé Brinkman. « Je ne m’en prends nullement à l’idée de détruire l’ennemi lors de son raid ; cela dit, obtenir du Premier Lord de la spatiale qu’il nous accorde tant de gros vaisseaux de guerre risque de représenter une grosse opération en soi. Je dispose de trente-six cuirassés, mais couvrir tous nos systèmes habités en déployant une force telle que l’a décrite l’amiral Brinkman en exigerait soixante-huit, pratiquement le double, et, compte tenu de la présence rishathane à notre frontière, nous aurions besoin d’au moins deux autres escadrons pour assurer sa sécurité. Ce qui nous conduit à un total de quatre-vingt-douze cuirassés, soit près de vingt-cinq pour cent des forces actives de la Flotte en temps de paix dans cette catégorie, sans rien dire des escorteurs pour les protéger. » Elle haussa les épaules. « Vous et moi connaissons les contraintes fiscales avec lesquelles doit se battre la comtesse Miller… et combien nous sommes déjà éparpillés. Le Premier Lord de la Spatiale ne nous confiera pas un bien grand nombre de ses meilleurs vaisseaux quand la Flotte doit déjà répondre a tous ces impératifs.

— Laissez-moi me charger de lord Jurawski, amiral. » Les yeux de Treadwell étaient durs comme du silex. « Je le connais depuis très longtemps, et en lui faisant comprendre qu’il doit s’attendre à ce que nous perdions au moins une autre planète habitée avant même d’avoir découvert l’ennemi, je devrais, me semble-t-il, lui faire entendre raison.

— Sauf votre respect, gouverneur, ça me paraît peu probable.

— Nous verrons bien. Toutefois, redéployer des forces de cette envergure exigera dans tous les cas plusieurs mois, ce qui signifie que nous devrons faire au mieux entre-temps. Où en sommes-nous dans ce domaine ?

— À peu près là où nous en étions avant le raid sur le monde de Mathison, reconnut lady Rosario en faisant signe à Mcllheny.

— Fondamentalement, gouverneur, reprit le colonel, La majeure partie de ce que nous avons appris sur le monde de Mathison est de mauvais augure. Nous avons positivement identifié un ex-officier de la Flotte parmi les pirates tués par le capitaine DeVries, et une recherche exhaustive menée dans les banques de données des effectifs a mis au jour six autres officiers dont le dossier individuel falsifié indique qu’ils ont péri dans le même accident de navette. Ce qui laisse clairement entendre que les pirates disposent au moins d’une taupe parmi les plus hauts gradés.

— Sans doute un foutu bureaucrate des Effectifs, râla Treadwell avec mépris. Est-il besoin d’être haut placé pour trafiquer les dossiers informatiques ? » Il agita la main avec impatience. « Je reconnais que c’est une assez troublante possibilité, mais concentrons-nous plutôt sur ce que nous pouvons prouver. » Il reporta le regard sur Gomez. « Quelles mesures avez-vous prises, amiral ?

— Elles sont spécifiées dans mon rapport, gouverneur. J’ai augmenté le nombre des détachements de surveillance et éparpillé le BatRon 17 de manière à fournir deux cuirassés à chacun des six systèmes les plus peuplés de la Couronne. Cela devrait suffire à dissuader l’ennemi s’il ose engager le combat, mais pas à l’anéantir s’il choisit de prendre la fuite. Malheureusement, je ne peux pas réduire mes forces au-dessous de deux escadrons sans inciter les Rishatha à pointer le museau, de sorte que nos mondes incorporés devront s’en remettre à leurs moyens de défense locaux.

— Autre chose sur la possibilité d’une implication de l’Association Jung ? » s’enquit Treadwell en s’adressant de nouveau à Mcllheny ; le colonel haussa les épaules.

« Ils ont démenti et nos rapports sur le déploiement de leur flotte le corroborent. En outre, ils ont d’eux-mêmes offert de fournir une protection à Domino et Kohlman. Ce sont des cibles fort peu probables… Domino est trop petite et trop pauvre et Kohlman est un monde incorporé aux excellentes défenses orbitales… Cela dit, j’aurais juré qu’une colonie aussi récemment installée que le monde de Mathison ferait une proie encore plus improbable. À mon humble avis, les Jungiens n’ont rien à voir là-dedans et souhaitent protéger nos populations les plus proches pour témoigner de leur innocence et de leur bonne foi maintenant que nous avons commencé à organiser le secteur ; mais je serais bien incapable d’en apporter la preuve.

— Hum. J’aurais tendance à abonder dans votre sens. Tenez-les à l’œil mais en continuant de présumer qu’ils ne sont que des spectateurs innocents. » Treadwell pianota légèrement sur la table. « Bon sang, nous avons absolument besoin de ces escadrons supplémentaires, amiral Gomez ! Vous venez vous-même de l’affirmer… nous ne pouvons couvrir efficacement qu’une poignée de systèmes et des sujets de l’Empire continuent d’être massacrés.

— Je vous l’accorde, gouverneur. Et nul ne serait plus ravi que moi de pouvoir arracher ces vaisseaux à l’emprise de lord Jurawski. Néanmoins, comme vous l’avez dit, nous devrons faire de notre mieux entre-temps, et il serait plus rapide de faire venir ici des croiseurs que d’obtenir de l’état-major qu’il nous dépêche ses cuirassés.

— Mais, si nous les lui demandons, il choisira la solution de facilité et ne nous enverra que des unités légères. » Treadwell sourit cauteleusement. « Je sais comment fonctionnent ces lords de l’Amirauté… J’en étais un moi-même. Exiger le gros matériel les convaincra de notre sérieux et nous n’en obtiendrons que plus vite l’envoi de la puissance de feu exigée.

— Comme vous voudrez, gouverneur. » Lady Rosario croisa les mains sur la table. Elle restait persuadée que Treadwell était sur la mauvaise voie, mais, comme l’avait affirmé Brinkman, on pouvait arguer dans un sens comme dans l’autre. Et c’était Treadwell le patron.

« Très bien. À présent… (Treadwell se tourna vers Mcllheny) quelles sont les dernières nouvelles sur notre commando de choc ?

— Monsieur, c’est une affaire interne du Cadre, et je…

— Peut-être en est-ce effectivement une, mais elle est survenue dans ma juridiction, colonel.

— J’en conviens, monsieur. Je m’apprêtais seulement à vous dire que je ne dispose guère d’informations, car le général Keita a pris personnellement l’affaire en main. J’ai cru comprendre qu’il n’y avait rien de changé. Le capitaine DeVries continue d’affirmer qu’elle est… euh… possédée par un personnage tout droit sorti de la mythologie de la Grèce antique et rien ne semble pouvoir l’en dissuader. Ils cherchent toujours à effectuer une percée par quelque solution médicale, mais sans succès.

» Personne, pas même moi, n’a la moindre hypothèse permet tant d’expliquer sa survie et le fait qu’elle a échappé à nos senseurs, pas plus qu’elle n’a témoigné d’autres aptitudes inexplicables. Le major Cateau du service médical du Cadre a analysé son augmentation jusqu’au niveau moléculaire – elle a pratiquement tout fait à part la lui retirer physiquement – et n’a absolument rien trouvé qui sorte de l’ordinaire. Les examens médicaux les plus rigoureux n’ont rien révélé non plus de bizarre dans sa physiologie ; et, en dépit de leurs singularités du début, son EEG et les résultats de ses tests sont revenus à la norme. À en juger par tout cela, c’est quelqu’un de parfaitement normal autant que peut l’être un commando de choc – qui a réussi des prouesses manifestement impossibles et semble en proie à une unique mais extraordinairement persistante hallucination.

— Oumph. » Treadwell contempla ses doigts qui continuaient de pianoter en fronçant les sourcils. Mcllheny, personnellement, soupçonnait le gouverneur de se méfier automatiquement de toute personne augmentée. Ce n’était certes pas une réaction inhabituelle de la part de ces malheureux qui ne tolèrent pas l’augmentation. « Je n’aime pas ça, finit-il par dire, mais je ne peux – ni ne dois – rien y faire, j’imagine. En outre… (il sourit) Arthur m’arracherait sans doute la tête d’un coup de dent si j’y faisais seulement allusion. » Il s’ébroua. « Très bien, amiral Gomez. Attelez-vous à ces schémas de déploiement et tenez-moi personnellement informé de leur progression.

— Oui, gouverneur. Et, monsieur, puis-je vous suggérer qu’à la perspective de l’éventualité… (elle avait très légèrement mis l’accent sur ce dernier mot) d’un engagement sérieux avec les pirates nous devrions prendre des précautions accrues avec ces données.

— Faites donc, mais ce ne sera pas nécessaire. Je manipule des informations sensibles depuis plusieurs décennies, baronne, et je crois avoir compris les rudiments de la sécurité. »

Les lèvres de lady Rosario se crispèrent, mais elle opina sans mot dire. Elle ne pouvait guère faire plus, après tout.

La voie des furies
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